Mémoire collective et migrations

Trois rencontres interrégionales de l’Association Ancrages

Avec l’ensemble des acteurs locaux, ces rencontres viseront à ouvrir le débat sur la place des migrants dans l’écriture de l’histoire nationale. Au cœur de ce questionnement, les archives occupent bien évidemment une place centrale. Mais de quelles archives parle-t-on ?

Depuis les opérations de collecte jusqu’à celles de valorisation, comment les archives participent-elles de “l’écriture du roman national” ? Quels sont les agents et groupes sociaux légitimés à choisir les archives qui méritent d’être recueillies et/ou valorisées ? Comment rendre visibles les mémoires des minorités (esclaves, sujets de l’Empire colonial, immigrés…) ? Est-on fondé à croire qu’il existe des “archives de l’immigration” ou bien est-il plus juste de penser que cette appellation doit être interrogée ? Quels outils, méthodes et références utiliser au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler “les bonnes pratiques” ? Ces questions pratiques et théoriques ne manqueront pas d’être abordées tout au long de ces rencontres.

Parce que l’histoire nationale relève du politique et du culturel au travers de la création d’un récit qui s’apparente à une « fiction collective », nous avons pris le parti d’étayer ces journées tant par les travaux du sociologue algérien Abdelmalek Sayad, que par ceux de l’historienne, Anne-Marie Thiesse.

À l’initiative de l’Association Ancrages, ces trois journées s’inscrivent dans le cadre du programme initié par la direction de l’accueil, de l’accompagnement des étrangers et de la nationalité (DAAEN) du ministère de l’Intérieur. Chacune d’entre elles s’organisera en deux temps. Les matinées se dérouleront sous la forme d’ateliers consacrés à des projets conduits par des acteurs locaux et analysés avec des professionnels de la patrimonialisation. En prenant appui, dans un second temps, sur les expériences présentées pendant la matinée, un “grand témoin” mettra les après-midi à profit pour articuler le travail de terrain et les pistes de recherche en lien avec la thématique de ces rencontres.

Culture et “culture immigrée”

Dans l’article “La culture en question” (1985), Sayad (1933-1998) établit que la relation entre “culture” et “culture populaire” n’est pas d’opposition mais qu’elle s’exprime plutôt sur le mode de l’hommage du vice à la vertu. Et, il souligne que ce qui était autrefois désigné par l’expression “culture populaire” est désormais souvent désigné par celle de “culture immigrée”. Les immigrés constituant une partie de plus en plus importante des classes dites “populaires” dans la France du milieu des années 1980, Sayad souligne qu’à partir de ces concepts flous nombreux sont ceux qui souhaitent obtenir des solutions magiques à des problèmes sociaux réels. C’est pourquoi il nous invite à nous interroger sur ce que nous disons véritablement lorsque nous employons les mots “culture immigrée”, sur ce que font les “cultures immigrées” à la “culture française” et sur ce que produisent les “cultures immigrées” dans la prétendue culture originelle.

Dans ce contexte, le sociologue insiste sur le fait que les “cultures immigrées” ne sont jamais monolithiques mais le résultat de rapports sociaux, politiques, culturels puisque les cultures n’existent pas dans l’absolu (en elles-mêmes et hors du monde) mais en relation. Autrement dit, elles se trouvent prises dans des rapports de domination entre individus mais aussi entre pays. C’est pourquoi il affirme que “la culture dominante, c’est celle des dominants socialement (dominants économiquement, politiquement, culturellement)” et que “la culture dominée, c’est celle des dominés socialement (dominés économiquement, politiquement, culturellement)”. Selon lui, la “culture immigrée” est donc doublement dominée car c’est une culture dominée chez elle et expatriée chez les autres, parce que déterritorialisée.

Mémoire collective et “mémoire immigrée”

Nombreux sont les personnages que la France s’est approprié pour écrire son histoire en gommant leurs origines étrangères : Léonard de Vinci, Émile Zola, Pablo Picasso, Marie Curie, Zinedine Zidane… Ou encore Ambroise Vollard, Jeanne Duval et Edmond Albius. En révolutionnant symboliquement leur discipline, ils ont marqué l’histoire et, à ce titre, intégré le roman national. Mais pour comprendre comment un tel tour de force est possible à certains et pas à d’autres, l’analyse socio-historique des trajectoires de ces individus s’impose. Cette analyse doit être effectuée concomitamment à l’analyse du champ dans lequel chacun d’entre eux a trouvé sa place.

« Maintenant, ils se demandent tous d’où ils viennent, qui ils sont et ce qu’ils font ici, ils essaient de montrer qu’ils sont français ou, au contraire, qu’ils ne sont pas français, ils se raccrochent de plus en plus à leurs lois, leurs coutumes, leurs traditions ou leurs tribulations, leurs coiffures et leurs parlures, leurs régions, leurs religions. Ils sont fiers des empires de leurs pères et des serments de leurs frères. C’est le ramdam des mémoires, le grand tumulte mémoriel : l’une contre l’autre, elles s’épaulent tout en se poussant du coude, elles se soudoient mais elles se montrent du doigt... Plus personne ne sait comment se souvenir ou comment oublier, plus personne ne sait comment être français ».

Ferrier (Michaël), Sympathie pour le fantôme, Gallimard, L’Infini, 2010.


Yves Jammet

APSV

Samia Chabani

Déléguée Générale Ancrages
 Centre de Ressources d’Histoire et Mémoires des migrations en Provence Alpes-Côte d’Azur

Chadia Arab

Géographe, chargée de recherche au CNRS
et membre de l’HMIA


Programme

- Vendredi 31 janvier 2014 à Marseille  : Histoires et mémoires locales, levier de l’histoire nationale des migrations.

Ancrages-Maison de la Région. 61 La Canebière, 13001 Marseille. Entrée libre.

Inscriptions : communication@ancrages.org

Retrouvez le programme sur http://ancrages.org/category/colloques-et-formations/

- Vendredi 16 mai 2014 à Angers  : Récits des migrations en région Pays-de-la-Loire, de la collecte à la valorisation.

Cité des associations - 49000 Angers. Entrée libre.

Inscriptions : histoireimmigration49@wanadoo.fr

- Vendredi 20 juin 2014 à Paris  : Restituer et partager les mémoires de l’immigration. APSV-Cité des sciences et de l’industrie. 30, av Corentin Cariou, 75019 Paris. Entrée libre. Inscriptions : yjammet@apsv.fr


BLOC NOTES

Dossier : L’INTERCULTUREL EN ACTES

Ce numéro de Culture et recherche donne la parole à des professionnels de la culture, des membres d’associations, des chercheurs, des artistes, tous porteurs de démarches originales : 
- dans les bibliothèques ou les musées, notamment de société, pour constituer des collections et des fonds qui fassent place au contemporain et au quotidien ; 
- pour reconnaitre le rôle d’acteur des publics, notamment grâce aux potentiels du numérique ; 
- pour favoriser de nouvelles dynamiques de territoires avec des associations et des artistes ; 
- pour expérimenter des recherches citoyennes et participatives… 

Les interactions entre la réflexivité propre aux institutions culturelles, la recherche universitaire, la création artistique et l’inventivité associative questionnent les modes de pensée et de faire de chacun dans un monde en mutation. Dans cette confrontation d’expériences et de regards, c’est aussi le renouvellement des métiers qui est en jeu.

Au sommaire :

> Préface de Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication

> Introduction : Questionner les politiques culturelles face à la complexité des sociétés contemporaines, par Hélène Hatzfeld et Sylvie Grange.

Expérimenter dans l’élaboration des projets

> Transformer les cultures professionnelles

Interagir dans la valorisation et la médiation


Et aussi :

Actualités : recherche, innovation numérique, publications.

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Si vous souhaitez recevoir un exemplaire imprimé du numéro, en faire la demande à : culture-et-recherche@culture.gouv.fr

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